Miscellanées 2
La naissance du roman
Le Chevalier Kerstrat,
chouan des Lumières
L’intrigue
J’avais eu connaissance lors de conversations à bâtons rompus, pendant des soirées familiales dans la famille de ma femme, de l’existence d’ancêtres aristocrates issus du lointain Finistère. Cela m’avait fait un peu sourire.
Mes propres ancêtres, dans quelque branche que je me dirige, sont de simples paysans dont certains ont réussi à émerger de la glèbe angevine et ligérienne au cours du XIXe siècle à force de courage et d’esprit inventif. Ils ont fondé des dynasties de bourgeois – ou faut-il dire de petits bourgeois, mais l’expression est entachée d’un mépris non dissimulé de la part des esprits supérieurs qui osent porter ce genre de jugements du haut de leur empyrée. Oubliant certainement que leurs propres ancêtres quelle que soit leur origine étaient… des hommes et des femmes. Et non des dieux supérieurs. Mais passons.
Mon beau-père avait une connaissance très vague de cette ascendance aristocratique. Il faut dire à sa décharge que la personne qui le reliait à ce sang bleu était une certaine Caroline de Tréourret de Kerstrat (la graphie Tréourret est concurrencée quelquefois par une autre graphie Tréouret ; Charles d’Hozier a retenu celle de Tréourret). D’autres ancêtres – tous les autres - appartenaient bien sûr à la glèbe bretonne, comme pour la presque totalité de la population bretonne.
Un après-midi pluvieux, il consentit à dévider l’écheveau de ses souvenirs, que je consignai religieusement sur un carnet. Un certain nombre de ses assertions se révélèrent erronées lorsque, bien des années plus tard, je pris la peine de les contrôler. Par exemple la famille de Caroline de Tréourret n’avait pas vécu au château de Trévarez en Saint-Goazec mais dans celui de Trohanet en Briec. Mais l’important n’était pas là. L’important c’était la découverte d’un personnage fascinant, un jeune homme qui était le fils d’un comte parmi la plus haute noblesse du Finistère. Il avait vécu l’époque de la Révolution et avait pris – si l’on peut dire – le maquis. Il avait combattu dans les rangs des émigrés débarqués à Quiberon en 1795. Il s’était retrouvé dans « l’armée rouge », une armée de chouans qui avait parcouru en tous sens la Bretagne. Il avait échoué près du château de son père parti à Londres - ou en Irlande. Il avait été trahi et capturé. Enfin il avait été fusillé par les républicains à Brest à la fin de l’année.
Quelle merveilleuse histoire ! pas pour le pauvre garçon, hélas. Mais pour un romancier !
J’ai entendu ce canevas il y a bien des dizaines d’années. Je l’ai gardé en mémoire depuis, y rêvant quand j’en avais le temps. L’oubliant, l’esprit absorbé par beaucoup d’autres impératifs remplis d’urgence. Maintenant que j’ai du temps devant moi, l’histoire a cristallisé en un récit. J’y viendrai un peu plus tard.
Jean Hyacinthe de Tréourret de Kerstrat - Une personnalité attachante
Jean de Kerstrat offre une personnalité hors du commun. Essayons d’en faire le tour à l’aide seulement des documents historiques dont nous disposons et que j’ai présentés aux lecteurs.
Il est né à Quimper le 12 mars 1775 dans un hôtel particulier, sis à Quimper-Corentin au milieu de la rue Obscure. Les vieilles maisons à encorbellements se rejoignaient presque au niveau des toits, d’où ce nom surprenant. C’est l’ancien nom de la rue Élie Fréron qui monte au coin de la cathédrale. Il va vivre son enfance dorée dans le splendide château de Trohanet, près de Briec et de Langolen, entouré de seize domestiques. Ses parents, le comte Jean-Marie de Tréourret de Kerstrat et Julie du Bot du Grégo son épouse, se rendent sans doute pendant les mauvais jours à Quimper.
Il va être envoyé par son père à Rennes pour faire ses humanités, comme on disait, au collège de Rennes. D’après le récit de son cousin Houël du Hamel, il ne revient pas à Quimper avant ses vingt ans. Sa mère va décéder moins d’un an après son départ.
« a déclaré se nommer Jean Hyacinte Kerstrat, âgé de vingt ans, natif de Quimper, département du Finistère, sans profession, sorti du collège en 1791. » (Jugement – Brest)
Engagé volontaire dans la Garde nationale
Il s’engage librement dans les rangs des volontaires :
« à lui demandé si avant son émigration, il n'a pas servi dans les volontaires, à Paris ; a répondu que oui, qu'il y a été quelque temps;
à lui demandé comment il en était sorti et à quelle époque ; a répondu qu'il avait déserté au mois de septembre 1792. »
Qui sont ces volontaires ? Des Français qui veulent assumer pleinement leur rôle de citoyens :
« C'est l'attitude du roi qui, en juillet, amène les électeurs parisiens à former une milice de 48 000 hommes, qui prend la Bastille ; et, la province imitant Paris, le royaume va se trouver encadré par une garde nationale de 2 500 000 citoyens. En vain, Dubois-Crancé a proposé le service militaire obligatoire ; l'Assemblée, plaçant, par son décret du 7 février 1790, la garde nationale sous l'autorité des corps administratifs élus, lui donne pour mission la défense de l'ordre, des propriétés et de la Constitution, n'y admet que les citoyens actifs et leurs fils, s'habillant et s'équipant à leurs frais. Le 13 juin 1791, elle décrète pour chaque département une conscription libre de gardes nationales de bonne volonté. » (Encyclopedia Universalis.)
Déserteur
La date de sa désertion n’est pas anodine : en septembre 1792.
Chacun aura à l’esprit l’attaque du palais royal des Tuileries, le 10 août 1792, l’arrestation du roi par les Sans-culottes, et les massacres du 2 au 7 septembre par les mêmes. On estime à treize cents morts, les victimes de ce lynchage de prisonniers qui n’avaient rien à voir avec la menace étrangère aux frontières. Jean de Tréourret, tout jeune homme rempli de ses illusions généreuses, abandonne donc ses chères conceptions d’une transformation sociale après la confrontation avec le visage grimaçant de la Révolution. Nous sommes dans un roman d’apprentissage ou d’initiation.
J’ai placé le jeune Tréourret au cœur des affrontements aux Tuileries. Rappelons qu’il y avait neuf cents Suisses et quelques centaines de gardes nationaux. Les Suisses avaient fait face sans trop de difficultés à l’insurrection, tirant au canon à mitraille sans état d’âme dans la masse des émeutiers. Ils avaient dans un premier temps gagné la bataille de rue. Mais un ordre du roi leur enjoint d’arrêter le tir et de regagner leur caserne. Ils se replient alors mais se trouvent encerclés près de la place Louis XV, l’actuelle Concorde. Leurs adversaires ne leur feront pas quartier. Bien sûr, je ne raconte pas le déroulement de cet affrontement d’une façon aussi organisée, mais du point de vue d’un jeune garde national au milieu d’autres jeunes gens à peine rodés à la vie militaire et qu’on peut imaginer très désorientés.
Il n’est pas extraordinaire de trouver un aristocrate dans les armées de la Révolution. Rappelons par exemple que le général Canclaux, bien connu à Nantes, qu’il défendit avec 12.000 hommes contre l’assaut des 50.000 vendéens de Cathelineau, était en réalité le marquis de Canclaux, chevalier de Saint-Louis et maréchal de camp en 1788. Le marquis Gilbert du Motier de La Fayette constitue un autre exemple très emblématique. Dans la marine, le chef de l’escadre qui sort de Brest en trompant la vigilance des Anglais et qui pourchasse l’expédition des émigrés commandée par le commodore Warren s’appelle Louis Villaret de Joyeuse. On met en doute, il est vrai, son origine noble. Mais le roi l’a fait cependant chevalier de Saint-Louis. Il a montré ses qualités de tacticien en affrontant auparavant les Anglais et en permettant, en 1794, à un convoi de plus de cent vingt bâtiments chargés de ravitaillement acheté au Canada, d’atteindre sans encombre la France affamée.
La question très importante est de savoir ce qu’il va faire après cette désertion, forcément mal vue par les autorités.
Émigré combattant dans les armées des Princes
À Quimper, lors de son interrogatoire par le Directoire du département, Jean de Kerstrat s’en tient à un premier discours :
« À lui demandé où il était allé lorsqu’il avait déserté ?
A répondu qu’il était allé en Allemagne.
À lui demandé s’il avait servi en Allemagne.
A répondu dans Loyal émigré. »
À Brest, il change de récit :
« À lui demandé s'il n'avait pas servi en Allemagne ; a répondu que non ;
à lui demandé pourquoi dans la première déposition qu'il avait faite au département il avait dit y avoir servi ; a répondu qu'il avait avoué effectivement qu'il avait servi dans le Loyal Émigrant qui était alors à hostande (Ostende);
à lui demandé s'il avait rejoint ce régiment en Allemagne ; a répondu qu'il l'avait rejoint à hostende. » (La graphie est celle de l’original).
Cette fois, la mue est finie. L’adolescent idéaliste a choisi son camp. Ce n’est certes pas pour les Princes et pour la défense des privilèges de la noblesse qu’il se bat. C’est contre ce que les hommes de pouvoir ont fait de ses idées, de ses espoirs, du grand projet de réformes qu’il espérait certainement voir se réaliser. Comme tant d’autres. Il se bat aussi contre les régicides. L'exécution de Louis XVI, celle de la reine, la mort du petit Louis XVII ont violemment bouleversé les émigrés.
Des lieux inspirés
1 – La rue Obscure et l’hôtel particulier des Kerstrat
Drôle de nom que celui de cette rue, qu’on ne trouvera pas sur le dernier plan de Quimper. En effet, elle s’appelle depuis deux siècles rue Élie Fréron, du nom de ce littérateur quimpérois du XVIIIe siècle que Voltaire éreinta dans cette fielleuse épigramme :
« L’autre jour, au fond du vallon
Un serpent piqua Jean Fréron.
Que pensez-vous qu’il arriva ?
Ce fut le serpent qui creva. »
Très méchant !
Mais revenons à la rue Obscure. Pourquoi ce nom intrigant ? La réponse se trouve dans le roman :
« Jean de Kerstrat était allé aux nouvelles, dans les parages de l’hôtel de sa famille, rue Obscure. La rue tirait son nom de sa faible largeur de trois mètres au rez-de-chaussée. Avec les encorbellements des immeubles, la largeur se réduisait à moins d’un mètre, parfois, au niveau des toits.
[…] la rue Obscure qui monte depuis la place Saint-Corentin, au coin de la cathédrale, vers la porte du nord, dominée par la tour de la Tourbie. »
Dans la première partie de cette rue, à une centaine de mètres à partir de la place, se dresse sur la droite une propriété qui était l’hôtel particulier du comte de Kerstrat. Aujourd’hui, cette propriété est morcelée en quatre adresses, du numéro 23 au numéro 29. Voici comment elle est décrite dans le roman :
« Il contempla l’hôtel particulier des Kerstrat à mi- pente de la rue descendant vers la cathédrale, presque caché aux yeux des passants.
Son pignon en granit étroit et haut offre un mur presque aveugle sur la rue. Le bâtiment se dresse entre une grande cour et un jardin situé plus bas. On entre dans la cour Nord par une imposante porte cochère en chêne sombre. Des dépendances occupent le côté nord de la cour.
Cette cour offre une noble façade de pierre grise aux yeux du visiteur du côté est. Elle présente un étage et, sous le toit d’ardoises, trois grandes lucarnes à moitié intégrées dans le mur de granit de la façade sont surmontées d’un grand fronton semi-circulaire entouré d’une sculpture en demi-bosse dans la pierre grise. Le corps de bâtiment à angle droit qui revient vers la rue, au sud de la cour, n’est pas non plus dépourvu d’une austère élégance. Une grande porte ouvragée donne accès à la demeure qui s’étend au sud sur deux niveaux et un grenier.
Depuis la rue, on distingue peu, par-dessus le mur du jardin, la façade sud. On n’en voit que les quatre fenêtres sans ornement du premier étage. Une surélévation de la façade au-dessus de la fenêtre la plus éloignée, surplombée d’une toiture plus élancée, percée d’une lucarne, et dominée par deux hautes cheminées, suggère l’existence d’un pavillon en bout du bâtiment. C’est un artifice de l’architecte pour casser l’impression d’austérité qui se dégage de la construction. Un perron permet de descendre dans le jardin « à la française » isolé de la rue par un haut mur de moellons percé d’une lourde porte. »
Aujourd’hui, il existe au fond de la cour un commerce de Brocante.
2 – La cathédrale Saint-Corentin
« C’est avec émotion que Jean de Kerstrat et ses deux amis entrèrent dans Quimper-Corentin. Ils arrivèrent par la route de Rosporden et découvrirent les tours sans clocher de la cathédrale avant de pénétrer dans le faubourg un peu fangeux qui longeait la rivière de l’Odet. Ils en suivirent le cours, sans se presser, presque jusqu’à la confluence avec le Steir. »
J’imagine que le lecteur sursautera en lisant dans le roman que les tours de la cathédrale étaient démunies de clocher, habitué qu’il est à voir les deux flèches pointues de Saint-Corentin. Pourtant, c’est beaucoup plus tard, en 1854, qu’on érigera ces flèches élégantes et élancées.
3 – La rivière de l’Odet.
Aujourd’hui, ses rives sont sagement contenues par des quais de pierre. Autrefois, comme il est dit dans le roman, l’eau s’épandait librement et la vase, où s'épanouissaient des roselières jaseuses, bordait l’Odet.
J’évoque un peu plus bas le lieu de Coëtlogon.
Il est d’autres lieux qui sont liés à Jean de Kerstrat.
Et d’abord, bien sûr, le château de ses pères, Trohanet.
4 – TROHANET, dans le Finistère.
Coordonnées : Latitude 48° 04’ 08N et longitude : 3° 56 37 O
2,7 km à un azimut de 76° de LANDUDAL, petit bourg peu éloigné de Briec.
Aujourd’hui, ce domaine est la propriété de la famille de PIMODAN, Baudoin et Catherine de Pimodan, M. de Pimodan étant le descendant de l’amiral Pierre de La Grandière – il était alors capitaine de vaisseau – qui le racheta en 1851 à Louis de Tréourret comte de Kerstrat, criblé de dettes.
Le Comte Baudoin DE RARÉCOURT DE LA VALLÉE DE PIMODAN, époux de Catherine D'ORNELLAS ; des châtelains accueillants.
Je le décrirai en reprenant des passages du roman.
« Ils prirent de bon matin la route du nord-est. Le village de Landudal, était à trois bonnes lieues. Ensuite, au lieu de remonter vers Briec, ils prirent la direction de Langolen à une lieue de là, et passèrent tout près du château de Trohanet. Jean de Kerstrat pria ses amis d’attendre un peu ; il voulait au moins contempler quelques minutes Trohanet du haut de la petite route qui surplombait l’étang. Son eau sombre était immobile en bas de la prairie. En haut se dressait la demeure.
Il éprouvait une douce et poignante émotion en contemplant la masse grise du château aux vastes toitures bleu-violet. Son regard s’attarda sur le large fronton triangulaire central, portant les armes des Kerstrat. Les volets blancs des seize fenêtres étaient pour certains ouverts. Sa tante était donc là. Une légère brume de chaleur, montant de l’étang, estompait les contours du bâtiment ; un bois aux grands arbres noirs l’entourait derrière. […]
Il suivit la route et arriva à l’extrémité est de l’étang. Le bois s’arrêtait là. Depuis la route et tout le long du plan d’eau on avait la vue sur le château, élevé sur la colline dans son décor de grands arbres. La façade en était orientée au sud. Le soleil couchant balayait obliquement le château et soulignait par le jeu des ombres sa décoration. Il admira une fois de plus la façade avec le fronton triangulaire qui s’élevait au centre de la toiture en ardoises, les deux pavillons aux ailes, la noble symétrie des fenêtres. Des révolutionnaires avaient martelé les pierres du fronton dans lesquelles avaient été sculptées les armoiries des Kerstrat.
Combien il aimait ce calme paysage familier ! Il avait le curieux sentiment à cet instant de revenir dans le monde de son enfance et croyait que sa mère allait apparaître tout là-bas, sur le pas de la grande porte. Pauvre mère, qu’il n’avait pas revue après avoir quitté le pays pour aller au collège à Rennes, et qui était morte peu de temps après. Des corneilles tournoyaient en criaillant d’une voix rauque dans les cimes des grands arbres. »
Lorsque le capitaine de vaisseau de La Grandière acheta en 1851 le domaine, celui-ci était dans un triste état. Il avait été dévasté par les révolutionnaires. Si quelques travaux avaient sans doute été entrepris ensuite, on peut imaginer, en l’absence de documents, que l’état de la pauvre bâtisse n’était pas merveilleux. Le comte qui avait émigré éprouvait des difficultés financières. Ses biens avaient été vendus par le Directoire du département selon la loi concernant les émigrés. Il n’avait plus les ressources considérables dont il disposait avant 1791. Il vivait le plus souvent au maner coz de Trévarez, avec son beau-frère et sa nièce Louise du Bot, épouse Bonté. La Grandière réhabilitera le château et demandera aux frères Bülher, architectes paysagers qui ont créé l’espace du Thabor à Rennes et la Tête d'or à Lyon., de modeler les jardins de Trohanet.
La route passait jusque-là près de l’étang. C’est la situation qui est évoquée dans le roman. Le fils de Pierre de La Grandière, Augustin, continuera les travaux entrepris par son père. Les mouvements de terrain, qui donnent au paysage son charme actuel, ont été ordonnés par lui ainsi que le déplacement du chemin municipal, effectué en 1897.
Le château de Coëtlogon
"Le château de Coëtlogon (à cinq kilomètres au nord de la Trinité Porhoët dans le bourg de Coëtlogon) présentait une longue façade tout en pierre de taille de granit, surmontée en son milieu d'un vaste fronton sculpté et armorié, flanqué à l'ouest et à l'est de deux tours demi-rondes dont l'une celle de l'ouest portait, sculptées dans sa corniche, les armoiries de plusieurs alliances de la famille. A l'est existait une chapelle communiquant par trois portes ogivales avec l'orangerie donnant elle-même au nord et accolée au bâtiment principal.
Ce bel édifice fut incendié en 1795, au lendemain du combat qui eut lieu au mois de juillet dans la direction de la Trinité Porhoët, combat où les trois mille républicains commandés par le général Champeaux furent battus par l'armée dirigée par le chevalier de Tinténiac. Celui-ci fut malheureusement tué au début de l'engagement à l'entrée du chemin qui menait dans la forêt de Coëtlogon et qu'on appelle l'avenue de Logon. Les détachements de l'armée républicaine battue mirent le feu au château. Les ruines en subsistèrent encore jusqu'en 1893, c'est-à-dire près de cent ans après l'incendie !
Les propriétaires d'alors dispersèrent aux quatre vents les matériaux ; les pierres sculptées furent vendues à des américains. Quelques-unes de ces pierres restées en France, ont été encastrées dans les murs d'une villa de Saint-Lunaire, construite par M. de Kerpezdron. L'une d'elles porte deux ancres posées en sautoir et surmontées d'une couronne ducale ; les autres portent les armes écartelées de Le Borgne d'Avautour et Bretagne, et des faisceaux de drapeaux et de clefs. Les écussons et les couronnes avaient été martelés par les révolutionnaires.
De l'esplanade qui se développait devant le château disparu on jouit vers le sud, dans la direction de Vannes, d'un panorama splendide s'étendant à plus de quarante kilomètres. La propriété appartient toujours à la famille de Carné".
Tombe de TINTENIAC
Cette croix est située sur la tombe du chevalier de Tinténiac. Le château de Coëtlogon occupé par des troupes contre-révolutionnaires d'émigrés, commandées par le chevalier de Tinténiac, est attaqué le 18 juillet 1795 par quatre cents grenadiers, sous les ordres du général Crublier. Tinténiac, surnommé le Loup Blanc, est tué au cours de ce combat à la suite duquel le château est incendié. Il est enterré sur le lieu du combat et cette croix, appelée à tort ' calvaire ', est celle de son tombeau.
L'Armée rouge en Bretagne
Mercredi 1er janvier 2003, par Gérard Boulé // Histoire & Personnages
Cet article a été publié dans un petit journal de la région de Ploërmel-Josselin qui avait pour titre L’OUST EST CLAIR (petit clin d’œil au grand "concurrent" Ouest-France qui s’appelait avant 1945 Ouest Eclair et qui eut besoin, à la Libération, de se refaire une virginité en changeant de titre ...). L’Oust est clair, sous titré "journal d’information pour la publication des nouvelles oubliées" avait la prétention d’offrir à ses lecteurs des années 80 un grand choix de sujets dont l’histoire. Ce fut la raison de ce court article que je reprends ici in extenso.
Je me dois de remercier ici Didier Carfantan qui, après de nombreuses et patientes recherches dans ses archives personnelles, m’a permis de récupérer ce texte. Sans lui, il m’eut fallu aller le recopier à la Bibliothèque Nationale ...
L’Armée rouge ... attaque Josselin ...
Non, il ne s’agit pas d’un article de science-fiction. Les p’tits gars d’Ukraine ou de Géorgie n’ont sans doute pas envie de venir s’agenouiller devant Notre Dame du Roncier pas plus que serrer la main du Duc de Rohan. D’ailleurs, ont-ils jamais entendu parler de l’une ou de l’autre ? Malgré tout, Josselin a bien été attaqué par l’armée rouge, mais cela se passait en juillet 1795.
Le 11 juillet 1795 donc, plus de 3000 hommes portant l’uniforme rouge de l’infanterie anglaise débarquent dans la Presqu’île de Rhuys, aux alentours du château de Suscinio. La presque totalité était des chouans, ils arrivent de Port-Halinguen et sont commandés par un jeune émigré, le chevalier de Tinténiac. Cadoudal etTinténiac ont en effet refusé de s’enfermer avec D’Hervilly dans la Presqu’île de Quiberon mais ils habillent cependant leurs hommes en rouge (on a débarqué 20 000 uniformes !) pour faire croire à une arrivée massive des coalisés. L’administration républicaine ne semble pas avoir été au courant de ce débarquement si bien que le 13 juin, l’armée rouge attaque la garnison d’Elven sans que l’on ait signalé son passage entre Rhuys et cette dernière ville. Le 16, la troupe de Tinténiac augmentée des chouans de la région de Bignan, est aux portes de Josselin. 300 à 400 soldats républicains occupent la ville qui est encore défendue, vaille que vaille, par ce qui reste des remparts médiévaux.
L’armée rouge s’est séparée en plusieurs colonnes. Un charretier en signale une partie sur la commune de Saint Servan (100 à 150 hommes). Au même moment, un détachement de grenadiers qui revient de Ploërmel rencontre une troupe à peu près semblable sur les landes de Mi-Voie et se hâte de s’enfermer dans Josselin. La tactique des chouans était simple : plutôt que d’attaquer la ville au sud où le château est imprenable, ils préfèrent se présenter devant les portes Saint Nicolas et Saint Martin où ils bénéficient en plus de l’effet de surprise.
Dès que leur présence est signalée, le commandant de la place envoie des grenadiers en reconnaissance. Ceux-ci se heurtent aux chouans près de Saint Jean des Prés et doivent battre en retraite, couverts par un autre détachement que l’on a fait sortir en toute hâte. A une heure et demie, l’armée rouge attaque Josselin par la porte Saint Nicolas.
Dans son rapport au District du Morbihan, l’administration de Josselin vante, comme il se doit, le courage des défenseurs qui se battent, pied à pied, aux portes et auprès des remparts. En fait et si l’on confronte les témoignages, il semble plutôt que l’armée rouge avait effectivement pris la ville, brûlé quelques maisons, en pillant quelques autres mais qu’elle se heurte au château où la garnison s’est repliée. Après avoir vainement essayé de déloger les républicains, les chouans se retirent en désordre de Josselin alors que la ville est à eux. Que se passe-t-il ? Les secours arrivent et des deux côtés à la fois : un détachement du 3ème bataillon d’Ille et Vilaine galope depuis Ploërmel mais il est retardé par une troupe de Chouans qui vient d’abandonner Josselin. On retrouve dans cette bande le célèbre Georges Cadoudal venu appuyer ce qui deviendra son armée. Par contre, une troupe républicaine venue de Loudéac, que les chouans ont sans doute surestimée, les oblige à se replier vers la forêt de Lanouée. Il est six heures du soir et la bataille a duré tout l’après-midi. La troupe de chouans se réorganise, va sur Mohon où elle campe au bourg et au village de Bodieu et se dirige vers les Côtes du Nord.
Bilan de la journée : côté républicain, il y aurait eu 5 morts et une quinzaine de blessés sérieux. Les chouans laissent 8 morts à Josselin mais 7 charrettes de blessés sont dirigées vers Bignan où ils seront soignés dans des hôpitaux clandestins de fortune.
Que devient l’armée rouge ? Partie de Mohon, elle s’enfonce dans les Côtes du Nord et se livre à son travail habituel de guérilla. Mais elle connaît des revers incessants : le 18 juillet, Tinténiac est tué à Coëtlogon. Pontbellanger qui le remplace (malgré l’opposition des hommes qui lui auraient préféré Cadoudal) est abattu lui aussi à Médréac en mars de l’année suivante. L’armée rouge revient alors dans le Morbihan, sous les ordres de Georges Cadoudal et elle n’a pas fini de faire parler d’elle. A vrai dire, on ne peut plus alors parler d’armée rouge : les chouans ont abandonné la tenue anglaise qui se porte mal depuis le désastre de Quiberon et ils se battent aussi bien sans uniforme ...
Notons au passage que cette troupe de 3000 hommes aurait pu être utile aux émigrés qui capitulaient après le débarquement de Quiberon, le 21 juillet 1795. Mais cette montée des chouans vers les Côtes du Nord correspondait à un plan précis (au moins dans l’esprit de Cadoudal) : une partie des troupes devait en effet rejoindre les leurs sur les côtes de la Manche après un débarquement d’insurgés venus de Jersey puis prendre les républicains de Hoche à revers. Ce débarquement n’eut jamais lieu. Cela explique en partie la colère de Georges Cadoudal quand il expliqua par la suite que l’Angleterre fut le principal responsable de l’échec du débarquement de Quiberon.
Mais revenons à Josselin, ce 16 juillet au soir. Après l’attaque, c’est la liesse. Le cidre coule à flot ainsi qu’à Ploërmel où le 3ème bataillon est rentré auréolé des lauriers de la victoire. Guillaume le Menézo, aubergiste à Ploërmel, chez qui ont avait réquisitionné la dite boisson ne fut jamais payé, mais qu’importe.
Passé le moment d’euphorie, les bons citoyens de Josselin se rendent compte qu’il y a là une occasion inespérée : on peut essayer d’arracher à l’administration la réparation des torts, réels ou imaginaires, causés par l’ennemi.
Ici, l’affaire devient cocasse. Qu’on en juge : Mesnil demande réparation pour une culotte de velours, 12 chemises et une montre. Moisan, du faubourg Saint Nicolas, exige le remboursement, entre autres choses, de 3 livres de poivre et d’une carotte de tabac. Quant à un certain gendarme Lack, bien connu des chouans semble-t-il, il déplore la perte de ... 2 chapeaux et demande réparation. Boussart, un officier municipal, considère qu’on lui doit 200 000 livres, 150 louis d’or et 7 300 livres en assignats. Tous ces braves gens, et il y en eut d’autres, étaient-ils les premiers à défendre leur ville ou, comme on l’a vu si souvent par la suite, s’étaient-ils mis au frais pour bénéficier le moment venu des bienfaits de la victoire ? L’histoire ne le dit pas ...
Toujours est-il que Josselin, une fois de plus, était sauvé. Les hostilités se déplaceront ailleurs et les chouans n’oseront plus jamais affronter la ville ducale. Le château avait joué son rôle mais, une fois n’est pas coutume, au profit de la République. Et certains disent que l’Histoire n’est qu’un éternel recommencement ...
Gérard Boulé. (paru dans l’oust est clair numéro 9 de janvier 1982).